• Kunvel

     

    « Aujourd’hui je vais mourir. Aujourd’hui, mes Sœurs vont me livrer au Kunvel.

    Le dirigeable qui m’emmène s’élève au-dessus de la mer Serpentine alors que nous quittons les forêts valokines. Les liens qui m’entravent m’empêchent de me tourner pour jeter un dernier regard en arrière, un dernier regard vers mon pays. Des larmes roulent sur mes joues.

    Comme je regrette !

     

    Le jugement a été prononcé, ma culpabilité établie. Il est trop tard pour espérer la clémence du Conseil Veneris. C’est la vérité, j’ai utilisé le Seid au détriment d’autres personnes. J’ai abusé de mes pouvoirs, j’ai manipulé des esprits faibles, j’ai influencé leurs émotions à mon avantage personnel. J’ai trahi l’ordre Ophrys et me voilà condamnée à mort.

    Mes chères consœurs, mes bourreaux. Elles ne m’accordent même pas un regard. Je pleure seule avec le poids de mes remords. Le dirigeable s’élève de plus en plus au-dessus de la bande d’eau salée qui s’étire à perte de vue en sinuant au pied de la chaîne de Parx. Devant nous, les immenses montagnes bleues semblent me toiser de leur hauteur majestueuse.

    Le froid me saisit alors que nous atteignons les montagnes en continuant à prendre de l’altitude. Il va nous falloir passer un col élevé entre les sommets masqués par les nuages. Loin sur notre droite, un volcan crache en continu un énorme panache de fumée noire. Je tremble alors que nous franchissons le col, fascinée par les aiguilles de roches bleu nuit et noires, les pics et les falaises où s’accrochent des lambeaux de nuages disloqués.

    Le dirigeable traverse une nappe nuageuse avant de plonger le long du versant sud. Pour la première fois de ma vie, j’aperçois la canopée des jungles noires en retenant mon souffle.

     

    Les arbres-montagne du Kunvel ne sont pas comme ceux qui poussent en Valoki. Leurs branches torturées s’élèvent au-dessus des brumes rougeâtres comme de monstrueuses  mains griffues prêtes à saisir le dirigeable. J’entends des sons inquiétants, je sens des mouvements dans la jungle grouillante d’horreurs indicibles. Tout ici est étrange, mystérieusement effrayant, envoûtant. Nous entrons dans un territoire qui dépasse l’entendement humain.

    Après le froid des montagnes, la chaleur des jungles équatoriales est suffocante. Le navire volant s’immobilise à la verticale d’un arbre plus haut que les autres. Les guerrières Ordoshaï qui m’escortent sont nerveuses, elles ne prennent pas le risque d’approcher trop près des cimes des arbres dont les formes tourmentées et les couleurs lugubres me bouleversent, me terrorisent.

    Je sais le sort qui m’attend.

    Mes gardiennes attachent une corde à ma ceinture et me poussent au bord du bastingage. Juste avant que je bascule dans le vide, elles détachent mes poignets. Quelle pitié ! Comme si cela allait changer quelque chose à mon sort. Elles se donnent bonne conscience. Je cherche leurs regards mais elles fuient le mien. Ça y est, je descends lentement vers les horribles griffes végétales qui vont m’engloutir.

    J’ai peur. Tout en bas, dans la noirceur opaque qui s’étend sous la canopée impénétrable, je devine les brumes rougeâtres qui s’élèvent lentement du sol. Le brouillard toxique est en train de remonter. S’il parvient jusqu’à moi, je pourrai peut-être mourir empoisonnée avant d’être dévorée vivante par les monstres qui hantent le Kunvel.

    Je traverse des feuillages coupants qui lacèrent mes vêtements, un suc corrosif attaque ma peau. Puis mes pieds se posent sur une énorme branche. Presque aussitôt, la corde qui me retenait tombe à côté de moi.

     

    Je lève les yeux vers le dirigeable qui s’éloigne. Veinardes. On raconte que parfois, même les geôlières ne rentrent pas quand elles emmènent un ou une condamnée dans cet enfer.

    Je me plaque contre le tronc colossal. Mes vêtements sont détruits, ma peau est couverte d’entailles et de cloques brûlantes. L’écorce ne semble pas vénéneuse, je me blottis dans une petite cavité. Je sens des mouvements partout autour, les branches s’agitent. Je perçois des présences, des mouvements d’une rapidité surprenante. Mon cœur s’emballe. Il faut que je maîtrise ma respiration, je dois me faire toute petite, me fondre dans le paysage. Je dois vivre.

    J’oublie ma douleur. Dans une attitude réflexe je me concentre pour projeter une vague apaisante autour de moi. Geste dérisoire, d’autant qu’on m’a retiré ma pierre d’Ambremiel. Le Seid ne me sera d’aucun secours ici. Et maintenant je ressens précisément pourquoi. Les créatures sanguinaires que j’ai touchées avec mes ondes ne sont pas insensibles, elles baignent dans le Seid. Elles le boivent, le mangent, le respirent. Il est partout ici. Il faudrait les forces réunies de dix Sœurs comme moi pour espérer affecter leur état émotionnel. Je suis impuissante.

    Ma gorge est irritée, j’ai des vertiges. Il me semble que l’arbre respire. Je vois des plantes ramper sur les branches comme des vers. L’une d’elles se jette sur moi, j’arrive à la lancer dans le vide avant qu’elle ne s’agrippe à mon visage avec sa bouche avide.

    Bon sang, des plantes qui se déplacent ! Je suis dans un cauchemar éveillé. Je ne vois pas encore la brume toxique autour de moi mais je sens déjà sa proximité. Ma tête tourne. Ou serait-ce la sève vénéneuse de cet arbre aux feuilles coupantes qui m’empoisonne ?

    Les monstres m’ont repérée. Ils approchent, ils escaladent l’arbre titanesque. Je sens leur présence furtive dans les feuillages violacés. Ils hésitent, ils m’évaluent. Ils sentent ma peur.

    Je me recroqueville en tremblant. La terreur me fait perdre tout contrôle. Un liquide chaud coule entre mes cuisses. Ma propre respiration me brûle la gorge. Je suffoque.

    Je n’aurai pas le temps de mourir à cause du poison végétal. C’est trop tard. Ils sont là. »

     

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    ♦♦♦

     

    Cette histoire s’est déroulée en 555. À l’époque du roman, cinquante-trois ans plus tard, les Sœurs pratiquent encore cette ancienne coutume remontant aux premiers temps de l’ordre Ophrys.

    Au sud de la Valoki, les jungles du Kunvel sont extrêmement denses, obscures et dangereuses. Des brumes toxiques recouvrent le sol en permanence. Les inhaler provoque d’abord une sensation d’engourdissement, puis des nausées et des fièvres pouvant aller jusqu’à des hallucinations violentes avant de provoquer la mort. On ne sait ni d’où elles proviennent, ni comment les espèces résidant sur place ont pu s’y adapter.

    Des créatures furtives chassent nuit et jour dans le Kunvel, tapies au milieu des plantes carnivores et des vapeurs empoisonnées. On suppose qu’il s’agit d’insectes, mais personne n’est jamais revenu des terribles jungles pour décrire ce qui vit là-bas.

    L’espérance de vie moyenne est de quelques minutes au niveau du sol pour un humain, y compris avec un masque respiratoire. Au-dessus des brumes toxiques, dans les arbres, le délai de survie semble rallonger proportionnellement à la hauteur, mais ne dépasserait pas quelques heures dans les meilleurs cas.

     

    Pour une raison inconnue, tous les appareils électriques et les moteurs tombent en panne dès qu’on franchit les montagnes de Parx, comme vidés de leur énergie. Plus aucun objet technologique ne fonctionne sur l’équateur.

    On suppose que les créatures qui le peuplent sont insensibles au Seid car les Sœurs Ophrys y meurent comme les autres humains. Le bannissement dans le Kunvel est le pire châtiment qui puisse être infligé à un criminel en Valoki, équivalent à la peine de mort.

    On peut survoler l’orée du Kunvel lors de rapides passages à dos d’insecte volant, ou à bord d’un ballon dirigeable, mais tous ceux qui ont tenté de s’enfoncer dans les jungles par les airs ont également disparu. Les violentes pluies quotidiennes et les nombreuses tempêtes rendent les expéditions aériennes très improbables, et pour ne rien faciliter, les insectes domestiqués montrent de grandes réticences à s’y aventurer.

     

    On ne sait presque rien du Kunvel, les humains se sont implantés sur tout l’hémisphère nord et ils ont fini par renoncer à le conquérir.

    Il est devenu synonyme de l’Enfer dans les croyances populaires.

     

    8021150144_056bf65bcc_o_flickr-Dams999(illustration : Dams999)

     

     


     


     


  • La découverte du Seid

    (Il m’a semblé intéressant de vous décrire brièvement le contexte de cette découverte.

    Un seul article aurait été un peu long, aussi je vous invite à lire le texte précédent avant de commencer celui-ci).

     

    6054591322_3ff046d141_o (crédit photo : Shang Trinh)

     

    Un matin de l’année 79, Shaïli Angama trouva les débris d’une cellule de miel dans la forêt valokine. Des myrmes l’avaient détruite accidentellement en essayant de la transporter dans leur nid après avoir pillé une ruche d’aporims. La jeune femme réussit à récupérer le miel qu’elle filtra et goûta.

    Ce miel délicieux eut sur elle un effet étrange. Elle se sentit plus sensible, plus alerte, ses sens semblaient exacerbés. Les couleurs étaient plus vives, les sons plus complexes. Elle voyait clair dans les émotions et les intentions de son entourage. Mais l’effet s’estompait vite.

    Elle décida d’abord de garder sa découverte pour elle et se mit à consommer d’infimes portions de son pot de miel pour le faire durer, un peu chaque jour.

     

    Une semaine plus tard, elle vint spontanément en aide à une aporim qui s’était blessée accidentellement contre un champ de force. Complètement sonné par la décharge d’énergie, l’hyménoptère de trois mètres se laissa soigner sans chercher à se servir de son dard ou de ses mandibules.

    Shaïli appliqua des pansements régénérateurs sur les brûlures de l’insecte et lui apporta une grande fleur mellifère pour la nourrir de son nectar. Alors que son état aurait dû nécessiter plusieurs jours de soins, quelques heures plus tard, les blessures avaient miraculeusement guéri et l’aporim s’envola pour rejoindre sa ruche.

    Plusieurs jours passèrent encore.

     

    La jeune femme était sortie avec un groupe de cueilleurs quand elle rencontra à nouveau cette aporim. Elle adjura ses compagnons de ne rien faire. À la surprise générale, l’insecte se posa doucement devant la jeune femme et toucha son front avec le bout de ses antennes. Il semblait lui témoigner une forme de gratitude.

    Shaïli s’amusa quelques temps à faire croire à ses compagnons qu’elle avait toujours eu ce don et qu’elle l’avait caché.

    La butineuse géante et l’humaine prirent l’habitude de se retrouver en cachette. Un jour elle l’emporta même dans les airs, sur son dos. Shaïli fut la première humaine à entrer à l’intérieur d’une ruche d’aporims.

    Mais son secret fut découvert, elle dut finalement avouer aux autres explorateurs que ses nouvelles facultés ne se manifestaient qu’en consommant ce miel. Elle affirmait pouvoir dialoguer avec cette créature, certains la croyaient.

     

    Palden Angama, le chef des explorations en Valoki, réagit très mal aux révélations de sa sœur. Il refusa en bloc l’idée que des insectes puissent bénéficier d’une forme d’intelligence permettant une communication entre eux et les humains. Le don de sa sœur cadette n’était à ses yeux qu’une chimère, un délire. À distance, il fit part à leur père de son inquiétude sur sa santé mentale.

    Pourtant, Shaïli continuait de multiplier les exploits. Elle se brouilla avec sa famille en refusant d’obéir quand son père ordonna qu’elle rentre dans le Nord.

     

    Deux clans commencèrent à s’opposer parmi les explorateurs. Les partisans de Shaïli tentèrent de prendre contact avec d’autres arthropodes, on s’aperçut rapidement que seuls les insectes sociaux avaient développé des formes de communication aussi complexes.

    Certains humains étaient plus sensibles que d’autres aux effets de ce miel particulier, surtout parmi les femmes. Tous ressentaient ses propriétés relaxantes, on lui découvrit aussi de nombreuses vertus médicinales, mais rares étaient les personnes qui pouvaient bénéficier de l’amplification psychique que ce miel apportait.

    Shaïli baptisa cette énergie métapsychique le « Seid ».

    Pour ceux qui y étaient sensibles, il permettait de communiquer ou d’interagir avec les êtres vivants, en particulier au niveau du champ émotionnel. Cette interaction des émotions pouvait se manifester jusqu’au plan physique, renforcer les défenses d’un organisme, accélérer la cicatrisation, neutraliser des toxines ou ralentir une infection. On réalisa bientôt que ces facultés pouvaient tout autant être utilisées sur les humains.

     

    Les tensions devinrent de plus en plus fortes entre les deux clans, entre le frère et la sœur.

    Palden commit l’erreur de vouloir imposer sa vision par la force. Quand la situation dégénéra, toute la ruche des aporims prêta main forte à ses nouveaux alliés et les sceptiques furent balayés. Ceux qui refusaient de reconnaître l’existence du Seid furent chassés de Valoki. Palden regagna le Tharseim avec ses hommes, le cœur plein de rage.

    Shaïli ne renonça jamais, et ne se réconcilia jamais avec sa famille.

    Des hommes restèrent avec ces femmes mystiques pour les soutenir et partager leur idéologie, certaines femmes n’ayant aucun don pour le Seid choisirent également de rester dans cette communauté pour tenter un nouveau chemin. Le groupe accepta de nouveaux arrivants et prit de l’importance jusqu’à devenir une véritable société.

     

    Sans doute en raison de leur fonctionnement matriarcal, les femmes eurent beaucoup plus de succès que les hommes avec les insectes sociaux. Même les rares hommes initiés. Ces femmes se spécialisèrent dans les relations avec les insectes et prônèrent le retour à une vie naturelle. Elles développèrent une société basée sur la coopération et l’harmonie avec la nature.

    Par la consommation de ce miel fabuleux, tout comme leur guide, les plus sensibles développèrent des talents de guérison par apposition des mains. À force d’expériences et de recherches, elles  déclinèrent l’utilisation du Seid en techniques appelées Zoë-meta-kheria (« la vie par les mains »). À travers l’apprentissage de ces techniques, les initiées parvenaient à lire les auras des êtres vivants pour déterminer leur état émotionnel, mais aussi leur santé psychologique et physique. Elles pouvaient interagir avec ces fluides énergétiques pour apaiser et soigner.

    Les techniques que Shaïli transmit à ses premières disciples se développèrent, leur organisation devint plus complexe. Chacune des quatre espèces d’insectes sociaux devint progressivement l’alliée des initiées. Un monastère fut fondé.

     

    Ainsi naquit l’ordre Ophrys. Ainsi ne fit que grandir le ressentiment entre la Valoki et le Tharseim, une opposition née du déchirement d’un frère et d’une sœur qui pourtant s’adoraient.

    Shaïli Angama est restée une légende en Valoki. Elle a vécu très âgée. En sa mémoire depuis, chaque Sœur Ophrys confirmée, en parvenant à l’âge adulte (19 ans),  reçoit sa première pierre d’Ambremiel  et une robe de couleur bleue correspondant à sa spécialité.

    En devenant ainsi membre officiel de l’ordre, chaque Sœur acquiert le titre de Shaïli.

     

    Nigisu-wikimedia (illustration : Nigisu)

     

    Dans les semaines à venir, j’aborderai de manière plus approfondie la société valokine, l’organisation de l’ordre Ophrys et les utilisations du Seid.

    Mais d’ici là, le prochain article vous emmènera aux confins de l’hémisphère, sur l’équateur, dans un endroit où même les Sœurs Ophrys ne peuvent survivre. Un territoire insurmontable, toxique, mortel pour les humains. Nous irons à l’entrée des jungles noires du Kunvel.

     

     




  • Les insectes sociaux

    8356759764_1881c7db86_o-flickr(crédit photo : USGS)

     

    Notre espèce a toujours porté en elle une soif de découverte et de conquête inextinguible.

    Malgré des débuts difficiles, il ne fallut que quelques décennies aux humains pour étendre leur territoire jusqu’aux tropiques. Les insectes sociaux supérieurs furent découverts 79 ans après l’arrivée du Vaisseau des Origines.

     

    À cette époque, les descendants des premiers colons étaient encore unis par une même idéologie, une même volonté de conquérir, une même nécessité face aux innombrables dangers de la nature géante de ce monde. Il n’existait pas encore de nations distinctes.

    Plusieurs cités étaient bâties dans le Tharseim, des petites communautés éparpillées dans le Calsynn voyaient le jour, la Nemosia était en train de construire sa première grande ville.

    La Valoki commençait à peine à être explorée. Ses jungles immenses recelaient une vie foisonnante d’insectes dangereux et de plantes gigantesques dont certaines se révélaient fortement vénéneuses. L’incroyable masse des arbres-montagne imposait le respect.

    Jamais des êtres humains ne s’étaient sentis aussi insignifiants face à la nature. Ils étaient effrayés.

     

    La peur peut pousser aux pires extrémités.

    Dans chaque nouveau territoire, les explorateurs utilisaient la même stratégie. On érigeait un premier camp de base fortifié, les environs étaient débarrassés de toutes les espèces représentant une menace par le biais d’armes à forte puissance de feu. Plutôt que d’agrandir ce camp, un deuxième était construit assez proche du premier. Le terrain entre les deux était méthodiquement quadrillé et sécurisé, conquis. Et ainsi de suite. Lorsque le secteur était jugé suffisamment important, on commençait à construire un village.

    Cette méthode s’avérait excessivement destructrice, mais à cette époque les humains n’avaient que la technologie pour se défendre et la production industrielle en était encore à ses balbutiements. Dès que l’on sortait des champs de force et des bâtiments blindés, le danger était partout.

    En l’espace de trois générations, certains avaient déjà perdu trop de proches, vu trop d’estropiés, assisté à trop de drames. La peur et la haine des arthropodes indigènes animait les aventuriers téméraires qui rêvaient de conquérir la planète tout entière.

     

    À cette époque, la Corporation Nordique dirigeait l’ensemble de la communauté humaine. Cet organisme exécutif comprenait les plus éminents savants.

    La science dirigeait leurs vies, elle avait permis à l’humanité de trouver un nouveau monde habitable, de s’y rendre, d’y survivre. Il leur avait semblé logique de laisser le pouvoir aux plus brillants scientifiques de leur communauté.

    La famille Angama était une des familles les plus influentes à l’Assemblée de la Corporation Nordique. Ramesh Angama avait été un grand biologiste et un explorateur célèbre du temps de sa jeunesse. Il s’était débrouillé pour que ses deux enfants, arrivés à l’âge adulte, bénéficient de sa renommée et prolongent la gloire de la famille.

     

    C’est ainsi que Palden et Shaïli Angama se retrouvèrent à la tête de la toute première expédition chargée d’explorer la Valoki.

    Palden, l’aîné de vingt-sept ans, était un jeune homme fougueux et sûr de lui, parfois arrogant. Il était bien parti pour devenir, comme son père, un grand scientifique. Shaïli, sa sœur de trois ans plus jeune, n’avait pas moins de caractère mais elle était certainement plus sensible, plus intuitive, un peu rêveuse. Ils étaient tous les deux intrépides et s’adoraient.

     

    Les explorateurs avancèrent péniblement dans un premier temps, ils subirent de lourdes pertes en découvrant les nombreuses colonies d’insectes sociaux peuplant la Valoki. Ces animaux vivant par centaines, voire par milliers, agissaient comme un tout coordonné, une entité unique. Ils représentaient une menace très préoccupante.

    Quatre espèces en particulier se différenciaient nettement des autres :

    • Les terims bâtisseurs étaient de pacifiques cultivateurs de champignons, aveugles et translucides, qui ne sortaient de leurs dédales souterrains que la nuit. Tant que l’on restait éloigné de leurs constructions monumentales, ils ne s’intéressaient pas aux humains, mais les imprudents se faisaient accueillir par des jets d’acide.

    • Les myrmes omnivores étaient également des créatures terrestres, mais bien plus agressives. Pratiquant l’élevage sur d’autres espèces et même l’esclavage sur les colonies rivales, elles se réunissaient parfois en colonnes gigantesques pour tout dévorer sur leur passage.

    • Les vespères leur causèrent encore plus de problèmes. Ces prédateurs ailés, avec leur dard venimeux, leur tête triangulaire, leur carapace tigrée orange et noire, représentaient une menace supérieure à celle de tous les autres. Elles avaient une vision très développée leur permettant de se diriger aussi bien le jour que la nuit, leur organisation dénotait une certaine intelligence. Elles savaient ruser, feinter, tendre des embuscades, utiliser des tactiques… et elles appréciaient la viande humaine.

    • Autres créatures ailées vivant en colonies, les aporims étaient de paisibles butineuses végétariennes se nourrissant du nectar et du pollen des fleurs géantes. Elles évitaient les nouveaux venus arrivés des étoiles. Nos découvreurs de nouvelles contrées ne voyaient encore que de loin ces insectes de trois mètres de long, avec leurs ailes bleues transparentes, leur corps couvert de fourrure noire offrant un joli dégradé de couleurs.

     

    C’est dans les forêts tropicales de Valoki, la région habitée la plus proche de l’équateur, qu’eut lieu pour la première fois un échange entre un insecte social et un humain…

     

    10984118396_e4431c2a73_o(illustration : Joshua Ezzell)

     

     




  • Le Vaisseau des Origines

    spaceship(crédit illustration : Cronus Caelestis)

     

    Le Vaisseau des Origines atteignit Entom Boötis pendant l’année 2634 de l’ancien calendrier terrien. De nombreuses explorations spatiales avaient été effectuées depuis des générations dans la galaxie.

    Sur certains mondes relativement proches de la Terre mais peu accueillants, on fit des tentatives de terraformation et d’ensemencement. Sans succès. Mais d’autres planètes beaucoup plus rares et lointaines semblaient habitables, certaines possédaient peut-être déjà leurs propres formes de vie.

    On suppose que la planète Terre était arrivée à un stade critique pour l’humanité, que des désastres ont poussé une partie de la population à tenter sa chance dans l’espace.

    Pendant le 24ème siècle, plusieurs groupes de vaisseaux spatiaux quittèrent la Terre pour s’éparpiller dans des directions différentes en espérant que l’un d’eux, au moins, allait trouver un monde accueillant. C’est ainsi que l’humanité essaima dans les étoiles.

     

    La flottille qui se dirigeait vers le système Tau Boötis comprenait plus de 120.000 personnes en âge de se reproduire, choisies pour la diversité de leurs connaissances et de leurs patrimoines génétiques.

    La propulsion ionique, ajoutée à la force de gravité des énormes planètes gazeuses pour provoquer des accélérations sur leur parcours, permettait alors d’atteindre une vitesse de croisière de 60.000 km/seconde.

    En alternant des périodes de cryogénisation et d’éveil, on évita que les générations se succèdent trop rapidement. Tous les colons durent à tour de rôle « dormir » artificiellement pendant des années, puis assurer le pilotage, veiller sur leurs congénères tout en produisant de la nourriture et en assurant la perpétuation de l’espèce.

     

    Leur errance dans le vide sidéral dura près de 300 ans. De nombreuses difficultés menacèrent cette folle expédition, les voyageurs faillirent ne jamais atteindre leur objectif. Problèmes techniques, sanitaires, obstacles potentiellement fatals, conflits internes dégénérant en combats fratricides pour prendre le contrôle… la flottille fut pratiquement détruite.

    Un seul vaisseau parvint au bout du voyage en pénétrant dans l’atmosphère de la planète.

    Ses habitants avaient frôlé la catastrophe juste avant d’arriver, une secte de fanatiques religieux ayant tenté de les entrainer dans un ignoble suicide collectif. À peine 16.000 personnes avaient survécu à cette interminable traversée, moins de 15 % de la population embarquée au départ vers ce système solaire. On déplora la disparition de nombreux érudits ou techniciens, et avec eux, la perte d’une partie des connaissances héritées de la Terre.

    Leur soulagement fut immense quand ils détectèrent dans certaines régions de l’eau, des formes de vie animale et une abondante végétation.

    Mais lorsque le vaisseau survola l’hémisphère sud, des avaries sévères manquèrent d’achever les survivants au terme de leur voyage. Les systèmes électriques, les réacteurs, la production d’eau, d’air et de nourriture, le contrôle des caissons d’hibernation… tout tomba en panne. L’immense vaisseau de l’espace manqua de s’écraser, puis fut repris en main de justesse en réussissant à dépasser l’équateur. Les appareils se remirent à fonctionner brièvement. Ils parvinrent à survoler l’hémisphère nord puis, ayant détecté des formes de vie de grande taille, atterrirent finalement en catastrophe dans la région froide qui semblait receler le moins de dangers.

     

    Le retour en arrière n’était pas envisageable. Les colons découvrirent avec crainte et émerveillement les créatures gigantesques qui peuplaient ce monde. Des insectes sociaux dominaient le règne animal dans une végétation démesurée.

    Il s’agissait de formes de vie assez proches de celles qu’ils connaissaient, malgré d’importantes différences, ils purent classer la plupart des êtres vivants parmi des grandes familles de végétaux et d’animaux répertoriées sur leur planète d’origine. Ces formes de vie étaient comme de lointains cousins atteints de gigantisme, mais ces espèces étaient bel et bien nouvelles, endémiques.

    Les premiers humains décidèrent de baptiser cette planète Gaîa Entomon, la « Terre des insectes » en grec ancien. Au fil du temps, on ne garda que l’abréviation Entom.

     

    D’innombrables dangers découlaient de l’échelle gigantesque de cette nature, mettant les humains en position de fragilité. La moindre épine pouvait atteindre une taille mortellement dangereuse, la chute d’une graine pouvait tuer une personne et celle d’une branche tout un village. Et il y avait bien sûr les attaques des prédateurs. Les venins, les pièges, les mandibules et les dards des carnivores géants, combinés à leur vitesse et leurs carapaces de chitine, constituaient des dangers terriblement oppressants dans la nature sauvage.

    Les colons s’implantèrent d’abord au nord de l’hémisphère habitable, où les insectes hibernaient pendant la saison froide. Équipés pour s’installer sur un nouveau monde, ils construisirent une première agglomération fortifiée. Ils érigèrent des dômes puis des champs de force impénétrables, à l’intérieur desquels ils purent vivre à l’abri des arthropodes et pratiquer l’agriculture.

    Aucune des espèces végétales terriennes embarquées ne put s’adapter. Ils découvrirent quantité de végétaux comestibles locaux qu’ils cueillaient sauvages ou apprenaient à cultiver. Des insectes furent chassés pour leur viande, certains se révélèrent suffisamment dociles pour pratiquer des formes d’élevage.

     

    Grâce à leur technologie, les humains agrandirent progressivement leur territoire. Ils avaient perdu une partie de leurs anciens savoirs mais en développèrent de nouveaux. Lentement, ils réussirent à s’adapter à ce nouveau monde, ses nouvelles maladies, ses dangers. Ils érigèrent d’autres villes et s’étendirent jusqu’aux régions tropicales du sud. Ils s’efforcèrent d’augmenter leur population pour éviter que leur espèce ne dégénère et s’éteigne.

    Des tensions commencèrent à diviser certaines cités, puis des frontières firent leur apparition, des ébauches de nations.

     

    Les siècles passèrent, on oublia le décompte du temps terrestre. Aujourd’hui, en l’année 608 du calendrier local, l’humanité prospère sur l’hémisphère nord.

    Plus grand monde ne se souvient du périple traversé par les premiers colons, des épreuves incroyables qu’ils surmontèrent pour que leur espèce survive ici. Personne ne se souvient que l’histoire terrienne devrait afficher l’année 3242, s’il existe encore quelqu’un là-bas…

    Personne ne sait ce que sont devenues les autres expéditions humaines parties explorer l’espace infini.

    La vie suit son cours.

     

    Dans le prochain article, je vais vous parler d’un évènement qui a bouleversé le parcours de ces peuples, en particulier dans les régions tropicales. La découverte de nouvelles capacités de l’esprit humain : le Seid.

     

     



     


  • Bienvenue !

     

    Salutation, voyageuse ou voyageur des univers imaginaires.

    Vous avez probablement connu bien des mondes avant d’arriver ici. Installez-vous confortablement, mettez-vous à votre aise.

    Au sujet des insectes géants (des arthropodes pour être exact) ne vous inquiétez pas trop, une majorité de ces créatures ne s’intéresse pas à nous. Pour les plus agressifs, différentes manières de se protéger ont été développées. Certains humains utilisent la technologie, d’autres la seule force de leur esprit. Et ça fonctionne. Mais pour tout dire ces deux cultures ne s’entendent guère… c’est un monde plein de contrastes.

    Bienvenue sur Entom Boötis.

    Cette planète est le berceau du roman que je suis en train d’écrire. J’ai déjà terminé un premier jet, une matière brute d’histoire. Tout ça demande encore d’être travaillé, réécrit, mon objectif étant de trouver un éditeur quand le roman sera prêt.

    Mais chaque chose en son temps. Je ne sais pas encore combien de réécritures vont être nécessaires pour lui donner le meilleur dont je suis capable. Patience. Une règle d’or dans ce métier… Patience doit être le surnom d’une déesse des écrivains.

    D’ici là, j’ai décidé de lancer ce blog pour commencer à vous faire découvrir cet univers. Ça fait un moment que je garde tout ça pour moi, j’ai envie de le partager. Pour vous, c’est l’accès à une partie de mon espace de création, un lieu pour s’évader j’espère, échanger, pour connaître l’avancée de ce projet, et pourquoi pas d’y participer.

    Ce blog va servir de complément au(x) roman(s) pour expliquer plus en détails cet univers. J’ai bien prévu une suite, mais une page se tourne à la fin de cette histoire et on pourra aussi s’arrêter là. On verra en temps voulu pour le pluriel.

    Les articles vont concerner les différents paysages de cette planète, ses peuples, ses villes, son passé, sa faune et sa flore. Parfois sous forme de descriptions, parfois sous forme de petites histoires. Certains personnages vous seront présentés à travers de courtes nouvelles. Et bien sûr, je vous tiendrai aussi au courant de l’avancée du roman.

    Aujourd’hui ma première version fait 707.659 signes espaces compris, soit 112.223 mots, ou 271 pages pleines au format A4. Au format poche on doit pouvoir compter le triple. Ça fait un petit pavé pour un premier roman, c’est une des raisons pour lesquelles je suis en train de le réécrire. J’essaye de limiter les explications, supprimer les passages inutiles et les répétitions, améliorer les scènes qui en ont besoin. Nettoyer, élaguer, aller à l’essentiel. Je sais qu’en première écriture je peux avoir tendance à m’attarder plus que nécessaire dans les détails au détriment du rythme. Tout un équilibre à trouver.

    La seconde version du roman arrive doucement au tiers de l’histoire. Quand elle sera terminée, je vais travailler le style aussi, le choix des mots, les synonymes. Alors seulement, je vais demander l’avis de regards extérieurs sur l’ensemble de l’histoire. Ensuite il y aura sans doute d’autres modifications, puis il sera temps de prospecter pour trouver une maison d’édition. Cette aventure ne fait que commencer !

    Dans le prochain article, je vais vous parler de l’arrivée des tout premiers humains, six siècles avant le début du roman. Avec le temps, vous aurez un aperçu condensé de l’histoire de l’humanité sur ce monde, sur les évènements qui ont amené le contexte que connaissent mes personnages.

    À très bientôt.