Je ne sais pas si quelqu’un lira ce modeste carnet de voyage un jour…
Dans cette éventualité, peut-être souhaiterez vous savoir que je m’appelle Fileas Meyo.
Je suis né dans le Tharseim où je suis resté jusqu’à mes 27 ans. À vrai dire, fils d’immigrés, je ne m’y suis jamais senti chez moi. Après une série de mésaventures, tant professionnelles que personnelles, j’ai décidé de tenter une autre vie ailleurs… et retrouver mes racines. Celles de mes parents.
Je me suis d’abord mis à suivre les traces de mon père, Bakir Meyo, dans le Calsynn où il est né. J’ai suivi le même chemin qu’il avait parcouru il y a de nombreuses années alors qu’il n’avait que 15 ans… mais dans l’autre sens. Et voilà qu’à l’instar de mon père, je me mets à écrire moi aussi. Dans nos rares échanges par lettres depuis que je suis parti (certaines caravanes acheminent heureusement du courrier), ma mère m’a d’ailleurs confié qu’elle trouve que nos styles se ressemblent un peu.
Comme lui, je suis passé par Ombrouge où j’ai traversé la frontière, avant de trouver une caravane pour longer le désert par la voie terrestre et m’amener au bord de l’océan Armaz.
Entre le désert et la mer
Deux semaines de marche furent nécessaires pour arriver sur le territoire du clan Meyo.
Dépaysement total pour moi, et je dois dire assez brutal. Même si je m’étais préparé à ce que j’allais trouver dans le Calsynn, l’imaginer et le vivre sont des choses bien différentes.
Le changement de climat était déjà déconcertant. L’aridité, la poussière, la chaleur… Et puis les moyens rudimentaires auxquels sont habitués les Calsy pour subsister, comme pour affronter les insectes prédateurs encore si nombreux dans ces contrées désertiques.
Ces gens sont tout aussi déroutants que leur pays quand on arrive du Nord.
Je ne me suis pas senti très à mon aise auprès des caravaniers qui effectuaient la navette régulière depuis la citadelle frontalière. Mais ils m’ont quand même mené à bon port.
Je me souviendrai toujours de mon arrivée dans le village où mon père passa son enfance.
Les dunes de sable plongent alors subitement dans l’étendue d’eau bleue qui semble s’étendre jusqu’à l’infini. Comme deux mers qui se rencontrent.
Parmi les autres peuples du Calsynn, les Meyo sont souvent considérés avec une crainte superstitieuse. Comme les gardiens d’un autre monde.
Les autres habitants du désert ont peur de l’océan qui leur est inconnu.
Le clan Meyo forme de modestes tribus de pêcheurs. Leur réputation est bonne auprès des autres Calsy, mon patronyme m’a valu un certain respect la plupart des fois où je l’ai mentionné dans le reste du pays.
Pacifiques et honnêtes gens aux dures journées de labeur, ils font partie des plus civilisés. Ceux que l’on peut considérer comme des « producteurs ».
Leur accueil fut d’abord des plus chaleureux. Ils m’ont considéré comme un membre de la famille.
Chaque clan du Calsynn est constitué de plusieurs tribus, certaines regroupées dans un secteur alors que d’autres sont dispersées dans tout le pays. Une partie des clans sont sédentaires, d’autres semi-nomades ou entièrement nomades.
Le village où est né mon père est bâti dans une crique à l’abri des vents dominants qui balaient les côtes de l’océan. Ce qui ne l’empêche pas d’être frappé par de violentes tempêtes, de temps à autre.
Ils vivent dans une telle simplicité… je dirais même une certaine misère. Pour moi qui n’avais connu que les mégapoles nordiques, ce fut un choc.
C’est pourtant cette authenticité que je suis venu chercher ici. Vivre avec le maximum d’autonomie dans la nature, sans être complètement dépendant de la technologie moderne.
Mais je ne réalisais pas à quel point mon monde était éloigné de celui des peuples du Calsynn.
Bien que pacifique, le clan de mon père n’est pas très différent des tribus de guerriers qui peuplent le désert. Ce ne sont pas des tendres.
Chaque jour, ils affrontent l’océan sur de frêles embarcations, pêchant ou chassant en plongée sous-marine des animaux souvent plus gros qu’eux. Les crabes géants tapis entre les rochers, les poissons carnassiers protégés par d’épaisses carapaces, les méduses au venin mortel… Tellement de dangers, de risques pour trouver de quoi subsister et troquer avec les caravanes. Les accidents sont fréquents.
Malgré la rudesse de ses mœurs, ce clan a gagné mon admiration.
Mais j’ai dû m’en aller…
Les premiers temps furent difficiles avant que je commence à m’adapter à leur mode de vie. Étonnamment, j’ai parfois ressenti une certaines familiarité dans certaines tâches, comme si une partie des gestes perpétués par mes ancêtres étaient restés gravés dans mes gènes. Au bout de plusieurs semaines, je commençais presque à me sentir à ma place dans cet endroit.
Mais les choses se sont gâtées entre eux et moi, quand j’ai commencé à me lier d’amitié avec une femme mariée. Nous ne faisions que parler et passer un peu de temps ensemble dans une bonne entente, mais le reste de la famille et surtout son mari ne voyaient pas notre proximité d’un bon œil. Je n’avais pourtant aucune intention de faire évoluer cette relation vers autre chose.
J’ai commencé à sentir des animosités. L’ambiance devint franchement pesante quand elle m’avoua des sentiments amoureux de son côté, en évoquant un duel à mort entre son époux et moi pour la « conquérir ».
Si la mentalité des Calsy est rude pour tous, c’est surtout envers les femmes qu’elle est la plus injuste. Même elles y sont habituées et trouvent cela normal… Un simple regard peut avoir de lourdes conséquences dans certains clans. Pour elle et les autres membres du village, nous étions déjà trop proches.
Je la considérais vraiment comme une amie pour ma part. Une rupture encore assez récente, dans le Nord, avait laissé mon cœur dévasté. Et je pensais alors que je ne m’en remettrais jamais complètement.
Après avoir passé six mois à partager leurs journées et leurs nuits, je me résolut à partir avec la première caravane pour continuer mon périple vers le sud.
Peut-être est-ce grâce à cette décision que je suis encore en vie aujourd’hui…
Elgadir
À l’ouest du Calsynn, elle aussi proche de l’océan, cette grande cité est considérée comme la capitale. Elle forme une mosaïque de quartiers complètement hétéroclites, représentant chacun les clans les plus importants du pays. Toutes ces couleurs et ces formes architecturales réunies témoignent de la fabuleuse diversité qu’on peut observer entre les Calsy.
Il existe même des quartiers temporaires pour les nomades, à l’orée de la cité, qui s’érigent pendant quelques mois puis disparaissent le reste de l’année.
Il n’y a pas d’administration à proprement parler dans le Calsynn. Chaque clan envoie un chef de tribu pour le représenter lors de grandes assemblées pluriannuelles. C’est là que sont prises les décisions importantes, que sont traités les accords majeurs, que sont forgées les alliances… là aussi que certains litiges sont réglés.
Pas vraiment d’intérêt à y rester lorsqu’on est un étranger, si ce n’est pour faire du commerce. Je ne voulais pas dilapider le peu qui restait de mes économies… Après quelques semaines, je trouvais une nouvelle caravane pour continuer plus avant dans le désert Agriote.
La mer de Sel
C’est la partie du Calsynn la plus sinistre et la moins peuplée, ce qui n’est pas peu dire dans cet immense désert. Personne n’y a élu domicile et seuls quelques groupes de nomades ou des fous solitaires la traversent. Un lieu mortel pour tous ceux qui s’y attardent.
Mis à part le sel qui constitue une denrée semi-précieuse dans le désert, il n’y a rien à trouver d’intéressant dans cette gigantesque étendue stérile. Je n’ai fait que la longer sans m’y attarder, avec une caravane du clan Messuga, le plus important clan de marchands.
Nous avons contourné la mer de Sel pour nous enfoncer au cœur du désert Agriote. La beauté sauvage de ces contrées, reg rocailleux ou erg de dunes, m’a souvent laissé sans voix.
Notre convoi était protégé des insectes et arachnides prédateurs par des diffuseurs de phéromones artificielles. Mais les plus grands dangers ne viennent pas des animaux dans ce désert.
Des clans de prédateurs humains
Après six mois relativement paisibles auprès du clan Meyo, puis deux mois avec les nomades, d’une caravane à l’autre vers le sud… C’est en compagnie de ces marchands que j’ai vraiment affronté des pillards.
Jusqu’alors je n’avais assisté qu’à des négociations parfois tendues, quand les Meyo ou les caravaniers payaient un tribut afin qu’on les laisse tranquilles.
Les Razgah sont des brutes sanguinaires, des esclavagistes, et l’on m’a même raconté que certains s’adonnent parfois au cannibalisme. Ils nous ont tendu une embuscade, perfidement cachés parmi des rochers comme des scorpides du désert.
Mais les marchands du clan Messuga avec lesquels je cheminais étaient bien armés et décidés à défendre chèrement leurs marchandises. On me confia un fusil à la hâte ; le combat fut bref et très violent. Les Razgah battirent en retraite après avoir subi des pertes qu’ils durent juger trop importantes pour s’acharner davantage.
De notre côté, il fallut aussi enterrer (ou devrais-je dire ensabler) quelques morts et nous occuper des blessés, avant de reprendre la route vers l’est.
Cette caravane devait faire halte dans un village permanent des Sileca, un grand clan de mineurs disséminés dans le désert et spécialisés dans les travaux de la forge.
Mais nous découvrions un village entièrement rasé par un autre clan de pillards dont on m’a dit le plus grand mal : les Morojir. Ils seraient encore pire que les Razgah. Et pourtant, eux aussi siègent aux assemblées des clans à Elgadir.
Tolérés par les autres peuples, comme des prédateurs régulant leurs écosystèmes. Ils aiment semer la mort, sont capables de décimer ceux qui ont l’audace de résister à leurs pillages.
Plutôt basés dans le nord et l’est du Calsynn, j’ai eu la chance de ne jamais croiser leur chemin. Leur emblème est un soleil noir.
Mais aussi des peuples paisibles, cultivateurs et éleveurs
La caravane des Messuga aurait dû me laisser m’arranger avec les Sileca pour continuer mon périple dans le désert. Mais finalement, ils s’enfoncèrent davantage vers le sud pour troquer leurs marchandises avec une autre tribu.
En échange du peu d’argent qui me restait depuis mon départ du Tharseim, je les ai accompagnés jusqu’au territoire des Buhsi. Il s’agit d’un peuple d’éleveurs spécialisés dans le dressage de montures volantes ou bondissantes.
De là, j’allais avoir une chance de poursuivre ma traversée du Calsynn par mes propres moyens. Encore fallait-il que je trouve quelque chose à échanger contre une monture, puisqu’il ne me restait rien.
J’avais deux bras et deux jambes, une bonne santé… cela risquait de prendre du temps mais mon labeur pouvait se monnayer.
Les Buhsi sont incroyables de simplicité. Je ne savais pas que l’on pouvait se passer de technologie à ce point-là. Et le désert est tellement grandiose dans cette région !
Je suis resté chez eux plus de deux mois, à travailler dur avant qu’ils acceptent de me céder une monture volante. Une odolule que j’avais dressée moi-même, d’ailleurs.
Cela faisait déjà un an que j’avais commencé ma traversée du Calsynn. Je devenais presque un habitant du désert moi aussi.
Puis c’est auprès des Jezmir, des cultivateurs semi-nomades au sud du Calsynn, que j’ai passé le plus de temps. Trois années assez heureuses.
Et j’ai trouvé l’amour à nouveau
Elle s’appelle Besna Jezmir. Mariée très jeune, son époux avait révoqué leur mariage parce qu’elle ne lui avait pas donné d’enfant. Et depuis elle était restée célibataire.
Nous sommes rapidement tombés amoureux l’un de l’autre… Elle a un sacré caractère mais quelle rencontre !
Les Jezmir forment un clan de tribus éparpillées sur un vaste territoire, pratiquement dans tout le Calsynn. Ils ont la particularité de faire pousser différentes cultures, réparties sur trois ou quatre lieux parfois très éloignés les uns des autres. Accompagnés d’insectes de bât, ils effectuent le même parcours chaque année.
Dans les lieux les plus arides, ils érigent des champs de pango, une céréale qui peut pratiquement se passer d’eau. Elle entre dans la fabrication de farine ou de la fameuse bière de pango, produite au sud du Calsynn et dans le nord de la Nemosia. Ils récoltent au bout de trois mois et repartent…
Près des cours d’eau, les années qui ne sont pas trop sèches, ils plantent des tubercules comme le nyam ou surtout le fingsa qui demande moins d’arrosages. Là encore, deux ou trois mois suffisent de la plantation à la récolte.
Puis ils s’en vont à nouveau ailleurs.
Ils font également des récoltes de végétaux sauvages. Dans les garrigues et les maquis au climat plus doux, souvent proches de la mer Orange ou de l’océan Armaz. Ils ne restent que le temps de ramasser des plantes aromatiques et médicinales, en général au moment de leur floraison. C’est la base de leur pharmacopée. Certains arbres et cactus sont également utilisés pour leurs fruits, leurs feuilles, leur sève ou les sucs qu’ils contiennent.
Je pourrais vous raconter tant de choses sur ce peuple qui m’a adopté pendant trois ans. Ce sont des gens profondément bienveillants dans l’ensemble. Ils ont un sens de l’honneur très développé. Leurs mœurs sont un peu moins rudes que chez la plupart des autres peuples du Calsynn.
Et il existe encore tant d’autres clans que je n’ai pas eu l’occasion de connaître…
Mais je ne me sens toujours pas « chez moi ». Toutes ces péripéties m’ont donné le goût des voyages.
Besna et moi essayons d’avoir un enfant, sans succès pour le moment. Après en avoir longuement discuté, nous avons décidé de partir pour découvrir la Nemosia. Juste tous les deux.
Ainsi va s’achever mon récit, pour cette fois. Nous sommes à la fin de l’année 579, cela fait plus de quatre ans que j’ai quitté le Tharseim.
Nous nous dirigeons vers le sud encore, vers le plus grand fleuve du monde.
Si tout se passe bien et que je garde l’envie de continuer ce récit de voyage, je vous raconterai un jour ce que je vais découvrir dans cet autre pays. Celui d’où venaient les parents de ma mère…
Au revoir.
Très eureuse de découvrir une suite aux aventures de tes personnages très attachants Sandro. Comme toujours, j’adore ce que tu écris, ton talent littéraire n’a d’égal que ton imagination. Bravo !
heureuse bien sûr
Ce blog existe depuis presque 5 ans et tu es toujours présente à me soutenir depuis le début, ça fait chaud au cœur.
Merci beaucoup Danny !
Hello Sandro ! J’ai tout de suite été emportée par ce beau récit ! Contente de replonger dans l’univers de Bakir Meyo. J’attends la suite 🙂
Salut Marjorie, merci à toi aussi pour tous tes commentaires, depuis le temps !
En l’absence de Bakir sur le blog c’est un de ses fils qui a repris le flambeau 😉