Au pied des hauts-plateaux qui marquent la frontière entre la Nemosia et la Valoki, il existe un lieu à part, une vaste cuvette marécageuse souvent envahie par la brume, entourée de forêts tropicales au sud et de falaises escarpées au nord. On appelle cet endroit la Vallée des Mousses.
Elle abrite de nombreuses espèces de mousses, fougères arborescentes et champignons géants, ainsi qu’une faune adaptée aux milieux humides. Il existe bien sûr quantité d’autres lieux envahis par les mousses et les champignons, mais celui-ci possède la particularité d’abriter également une petite peuplade qui est toujours restée à l’écart des autres humains.
(crédit illustration : Torley)
La seule agglomération de la Vallée des Mousses est un grand village nommé Rizom. Située tout au fond de la vallée, au pied des falaises nemosianes, cette bourgade se divise en deux parties distinctes.
Dans le cirque de parois verticales est creusé tout un réseau de galeries et de grottes dans la roche, tandis qu’à l’extérieur s’étendent des constructions semblables à celles que l’on peut trouver partout ailleurs dans la Ceinture Tropicale : des huttes et des petites maisons de terre arrondies, parfois pointues et spiralées, mais ici recouvertes d’un tapis végétal de mousses.
Ses habitants s’appelaient autrefois les Riziens, mais en raison de leur habileté à cultiver et utiliser les mousses qui poussent dans la région, à l’époque du roman ils portent le nom de Mousserands.
Seuls les véritables tisserands des mousses portaient ce nom à l’origine, puis il a fini par s’étendre à tous les habitants du village. Les mousses sont omniprésentes dans leur vie quotidienne. Ils consomment plus de cent trente espèces de mousses, s’habillent de mousses, dorment sur des lits de mousses, décorent leurs murs de tissages de plantes et façonnent même de superbes sculptures de végétaux vivants.
Les Mousserands ont la peau pâle pour des habitants de la Ceinture Tropicale, ils sont généralement bruns et peu corpulents, voire maigres. Ils passent l’essentiel de leur temps à l’ombre, dans des cavernes ou des zones humides, cultivant des mousses et des champignons, pratiquant l’élevage d’animaux cavernicoles.
Leur mode de vie austère ne les empêche pas d’être un peuple pacifique, ingénieux et raffiné, spécialisé dans toutes les utilisations possibles des champignons et des mousses végétales qui abondent dans leur secteur.
(crédit photo : Philip Halling)
Les Mousserands se réclament comme étant un peuple à part entière, ne souhaitant appartenir à aucune des deux nations dont ils occupent une frontière commune. Les Valokins et les Nemosians ont toujours respecté leur volonté d’indépendance mais de fait, personne ne se soucie vraiment de leur sort.
C’est un peuple isolé vivant en complète autarcie, le commerce de leurs œuvres n’est dû qu’à de rares marchands étrangers suffisamment habiles pour faire des affaires avec eux. Les productions artisanales et artistiques typiques de ce village sont prisées dans les milieux aisés de la Ceinture Tropicale, et très chères.
Ils entretiennent des relations distantes avec les autres communautés humaines, bien qu’ils soient restés proches des Valokins pendant très longtemps.
À peine sept ans avant le début du roman, il existait encore un dispensaire des Sœurs Ophrys à Rizom. Mais par l’intermédiaire d’un certain Tiaz Modanio, un marchand nemosian réputé pour ne pas être embarrassé par les scrupules, ils ont commencé à accéder à certains objets technologiques provenant du Tharseim. Et à travers ces transactions ils ont été aussi touchés par la propagande anti-Valokins des nordiques.
Les Mousserands sont pourtant réputés pour leur gentillesse, qui contraste fortement avec leur apparence primitive et surtout avec l’ambiance morne des marécages nauséabonds qui les entourent.
Le village dispose encore d’un RIV (Relais des Insectes Voyageurs) pour accueillir les gens de passage avec leur monture. Malgré le développement récent de moyens de transport modernes en Nemosia, et l’utilisation de ballons dirigeables en Valoki depuis de nombreuses décennies, les voyages à dos d’insecte représentent encore le moyen de transport individuel le plus utilisé dans toute la Ceinture Tropicale.
La plupart du temps, les insectes du RIV sont des odolules (cousins des libellules terriennes) réputées pour leur maniabilité, leur endurance et leur vitesse. Les montures du RIV se louent à la journée, passent la nuit dans un relais et sont dressées pour regagner toutes seules leur foyer lorsqu’on les libère au petit matin. Comme elles n’ont pas beaucoup de prédateurs et sont habituées à voler très haut, en général tout se passe bien.
Ainsi, lorsqu’on ne veut pas voyager dans les transports aériens en commun, souvent lents et coûteux, ne desservant que les grandes villes, le plus simple est de passer par le RIV. Il faut être capable de diriger et s’occuper d’une odolule, il faut changer de monture chaque jour, mais les relais sont nombreux dans les deux grandes nations tropicales et il en existe même, plus rares, dans le Calsynn.
(domaine public)
Mais revenons à Rizom dans la Vallée des Mousses.
Dans la partie troglodyte du village, hormis quelques habitations, les grottes les plus spacieuses sont réservées aux montures ainsi qu’à des élevages d’animaux cavernicoles.
Parmi ces arthropodes élevés essentiellement pour leur viande, on trouve des copoces à la chair blanche, qui sont capables de se replier dans leur carapace conique s’ils se sentent en danger. Les copoces ne sont pas des insectes mais des crustacés terrestres (comme les cloportes sur Terre), ils possèdent quatorze pattes. Les Mousserands les élèvent pour leur viande et leurs œufs, en les nourrissant de végétaux.
Il y a également des plismes à carapace grise, paisibles mangeurs de champignons et de moisissures, dont la chair ferme et parfumée évoque celle de la langouste.
Des triules bien plus dangereux habitent aussi ces grottes, en captivité. Grands myriapodes au long corps triangulaire dont chaque angle est garni d’une rangée de pattes, leur permettant de se déplacer sur presque n’importe quelle surface en ayant toujours aux moins deux rangées de membres accrochées au sol ou au plafond.
Les triules possèdent des piques venimeuses réparties sur tout leur corps de mille-pattes, dont les Mousserands extraient traditionnellement le poison pour enduire leurs armes blanches. Cette coutume tend évidemment à disparaître depuis l’arrivée d’armes fabriquées dans le Tharseim.
Il y a bien sûr quantité d’animaux sauvages dans la Vallée des Mousses. On peut citer les drosines habitant les zones marécageuses (inspirés des sciarides, les mouches du terreau). Ces insectes volants se nourrissent principalement de végétaux en décomposition.
Ils pondent dans le sol, avec une nette prédilection pour la terre fraîchement retournée par un insecte fouisseur ou l’agriculture humaine. Leurs larves dévorent les racines des plantes et font des ravages dans les champs. Les Mousserands appréciant leur viande, ils labourent certains secteurs sans rien y planter, pour en faire des zones d’élevage.
Les cilides sont des insectes ailés des zones humides tropicales, vampires se nourrissant à l’origine exclusivement de l’hémolymphe (l’équivalent du sang) d’autres espèces d’insectes. Leur tête ne possède pas de mandibules mais une longue trompe rigide dont l’extrémité est pointue comme une grande aiguille. Ils apprécient particulièrement d’agresser les chenilles ou autres animaux sans armure, mais peuvent aussi enfoncer leur trompe entre les plaques des carapaces.
Depuis l’arrivée des humains sur Entom, ils se sont adaptés à leur sang riche en fer constituant pour eux un mets de choix. La chair des humains est bien fragile face à leur trompe-aiguille et il n’est pas rare que ceux-ci succombent à la blessure avant d’être vidés de leur sang.
(crédit photo : Alvesgaspar)
Pour se protéger des prédateurs de la région, les Mousserands utilisent toutes sortes de techniques. Comme ils connaissent très bien leur environnement, de nombreuses préparations naturelles les aident à repousser les insectes géants.
Ils s’enduisent parfois le corps d’écorces d’arbres réduites en poudre, de crèmes à base de sève, de feuilles ou de fleurs de certains végétaux. À intervalles réguliers partout dans leur village, des braséros consument nuit et jour des plantes dont la fumée incommode les arthropodes.
Depuis quelques années, les habitants de Rizom utilisent eux aussi les diffuseurs de phéromones artificielles fabriqués dans le Nord pour repousser les animaux sauvages. Les braséros ne se sont pas éteints pour autant, sans doute encore utiles pour masquer les relents nauséabonds des marécages tout proches.
Malgré leur intérêt récent pour la technologie, c’est un peuple fier de ses traditions et beaucoup de leurs habitudes sont restées inchangées depuis des siècles.
Chez les Mousserands il n’y a pas de chef, mais un petit comité de sages élus par l’ensemble des adultes du village. Chaque mois, quand la grande lune bleutée nommée Enil est pleine, tout le village se réunit pour discuter des décisions à prendre. Ainsi, même si les sages ont souvent le dernier mot, toute la population est consultée pour chaque décision importante.
Tous les ans, la place de sage peut d’ailleurs être remise en question par les villageois, s’ils sont mécontents de ceux qui sont censés les conseiller avec justesse et bienveillance.
Hommes et femmes peuvent être élus comme sages quel que soit leur âge et leur rôle dans cette petite société, en fonction de leurs aptitudes réelles et non pas de leur statut social. Il n’y a aucun avantage particulier à en faire partie.
Chez les Mousserands le pouvoir n’est pas un privilège, c’est un honneur mais avant tout une responsabilité.
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Le voyage de Naëlis et Elorine les amenant à passer par la Vallée des Mousses, vous aurez l’occasion de découvrir cet endroit à travers leurs yeux, dans le roman.
Pour finir, je souhaite partager avec vous cette réflexion d’un auteur de science-fiction que j’aime beaucoup :
« Un humain sophistiqué peut devenir primitif. Cela signifie en réalité que l’existence humaine change. Les anciennes valeurs changent, sont reliées au paysage avec ses plantes et ses animaux.
Cette forme de vie nouvelle exige une connaissance pratique de ce réseau complexe d’évènements simultanés que l’on désigne sous le nom de nature. Elle exige une dose de respect pour la puissance d’inertie de tels systèmes naturels. Lorsqu’un humain acquiert cette connaissance pratique et ce respect, c’est alors qu’on le dit « primitif ».
Le contraire, bien sûr, est également vrai : le primitif peut devenir sophistiqué, mais non sans subir d’effroyables dommages psychiques. »
Frank Herbert – Les Enfants de Dune, introduction chapitre 13 (Le Commentaire de Leto, d’après Harq al-Ada).
je suis toujours aussi admirative de ton imagination Sandro, du talent dont tu fais preuve pour construire un monde et même un univers aussi étrange que varié. Et quelle belle prose ! Je suis fan, je ne peux te dire que cela. Merci de nous ravir ainsi les yeux et de nous transmettre une connaissance très spéciale.
Tes descriptions sont tellement détaillées que l’on voit ce dont tu nous parles.
http://danny-kada-auteure.com/
Merci beaucoup Danny, pour tes commentaires encourageants et ta présence très régulière sur ce blog. Ça me fait très plaisir.
J’adore, j’adore !!!
Encore bravo, c’est magnifique comme toujours.
Commentaire peu argumenté mais qui correspond bien à mon ressenti 🙂
Merci Marjorie 🙂
Moi aussi j’adore toujours ton univers, et cet article a une connotation, comment dire… un peu bucolique, même s’il s’agit de marais malodorants.
Excellente idée que cette vallée un peu perdue, pacifique et « primitive » dans le bon sens du terme, au milieu des autres royaumes. Je suis impatiente de la découvrir à travers les yeux de Naelys et Elorine.
Hello Marjorie
Il y a pas mal d’endroits qui ont comme celui-ci, un côté charmant et un autre pas du tout. C’est difficile de trouver un endroit idéal, en plus c’est très subjectif. Il paraît qu’à force on s’habitue à l’odeur des marécages. Moi non. Quand je suis allé en Camargue je n’ai pas dû rester assez longtemps ^^
Merci pour ton commentaire.
Tiens, c’est intéressant. Je suis allée en Camargue plusieurs fois, déjà enfant en camping, ensuite ado car on vivait à 80 km, et je n’ai pas souvenir de ces odeurs. Peut-être que ça dépend des endroits en Camargue. Je ne savais pas, tu vois.
C’est vrai, presque aucun lieu n’est idéal, il y a toujours au moins un aspect négatif. Ce qui fait qu’on choisit de rester à un endroit dépendra de plusieurs facteurs subjectifs.
Ah ben j’y étais tout gamin aussi, je sais plus où c’était précisément. C’était pas au bord de la mer mais plutôt à l’intérieur des terres. Je me souviens bien des troupeaux de chevaux et de bovins en liberté, les flamants roses par centaines, le coucher de soleil magnifique… et puis aussi les marécages, les moustiques et une odeur assez désagréable d’œuf pourri. Plein de coins boueux, plein de vase dans l’eau…